« IL Y AVAIT CE SAMEDI […] » [AUBERVILLIERS]

Retour sur la journée de « Versement au Trésor poétique » du 20 septembre 2014, lors de laquelle sont entrés officiellement aux archives municipales plus de 200 textes recueillis pendant l’année écoulée auprès des habitants d’Aubervilliers, dans plus de 50 langues différentes. 

par Christophe Bonzom, pour Les Souffleurs commandos poétiques

 

 

« Il y avait ce samedi une grande sérénité. Un bien-être émanait de notre hangar. Des gens, du public, il y en a eu à partir de 10h et jusque tard, en flux continu, qui arrivaient par petits groupes, souvent en famille, entre amis. Une grande bienveillance régnait de partout : à l'entrée, devant le podium des scribes, plus loin vers la table de versement des nouveaux poèmes récoltés, dans Jeanine – notre caravane –, depuis laquelle nous parvenaient, à intervalles réguliers, des enregistrements de chants en bangla, arabe ou soninké…, devant les multiples panneaux “d’écritures aux tableaux noirs” et jusqu'à la buvette, où thé, café et jus de fruits étaient offerts. Nous avons eu, je crois, quelque trente-cinq nouveaux dépôts, et une écriture continue des scribes de 10h à 18h (je ne sais pas à combien de textes cela correspond, mais je dirais, à la lunette, une bonne brouette), qui se sont relayés pour coucher à l'encre indélébile les originaux du grand trésor poétique constitué pour l'occasion des deux tomes du Grand Livre*. (* Le livre du Trésor poétique municipal d’Aubervilliers.)

 

Plusieurs textes ont été portés par le chant, en langue originale, par les déposants; c'était très émouvant. Notamment lorsqu'une dame d’origine yougoslave nous a chanté une chanson – qu'elle avait au préalable déposée et qu'elle venait d'écrire dans le Grand Livre – que lui chantait sa mère lorsqu'elle était enfant, mais dont elle n'avait jamais su la traduction; restaient dans sa mémoire seulement les mots, la musique des mots et le chant. Perdue la langue, perdu le sens, perdue cette part d'enfance. Aussi a-t-elle fondu en larmes lorsqu'elle a entendu, portée par une Souffleuse, la traduction française de cette chanson, qui a enfin éclairé son souvenir grâce au sens retrouvé. Une histoire d'amour entre une fille et un tzigane. Qu'il était beau ce moment! Qu'il justifiait à lui seul l'immense travail entrepris.  

Nous avons eu aussi la visite du maire de Beit Jala, qui a rendu un bel hommage aux Souffleurs. Nous lui avons offert, en signe d'amitié, le petit panneau confié par Olivier Comte, petit panneau rescapé des Levées d'écritures de Beit Jala, organisées avec la complicité des Souffleurs l’année précédente. Il y a eu un bel échange ensuite entre un poète tunisien venu écrire son poème dans le Grand Livre, le portant à voix haute en arabe devant le maire de Beit Jala et ceux qui l’accompagnaient. Le maire d’Aubervilliers était également présent. J’ai ouï dire qu’il aimait la poésie…
 
Et puis le chant d’une jeune femme sur Jérusalem, qui a chanté debout cette chanson de Fairuz, de sa voix magnifique. Le public immobile, comme envoûté, écoutait. Et puis une autre déposante et sa berceuse en tamoul, et aussi cette autre femme venue déposer et chanter un chant de lutte pour la condition des femmes, le visage en pleurs. Et puis cette toute petite fille, droite comme un “i”, venue nous dire, à côté de son père qui l'écrivait dans le Grand Livre, le texte qu'elle nous offrait. Oui, le chant, le texte, nous ont été ce jour fichtrement émouvants.
 
Le Grand Livre du Trésor poétique mondial d'Aubervilliers nous a ainsi fait vibrer l'âme tout le jour durant, et nous prenions tous la mesure de sa gigantesque portée. Le public ne s'y est pas trompé puisque certains sont restés là des heures, assis, simplement à regarder les écritures couvrir le Grand Livre, à écouter les chants. Nous éprouvions ensemble un étirement du temps, cette fameuse tentative de ralentissement se réalisait encore, une sorte de bien-être collectif. Ce fut le cas particulièrement pour ce  jeune homme nommé R., qui nous a accompagnés de sa discrète et incroyable présence. Avant de partir, il m'a confié qu'il avait déjà quelques nouveaux poèmes à offrir et qu'il serait certainement des nôtres dans un an pour la prochaine vendange.
 
Enfin, nous avons pu dire et répéter au public que ce livre était notre mémoire commune, un formidable condensé du foisonnement de nos cultures, de l'identité même de cette ville, que ce livre était d'ores et déjà à disposition de tous aux archives municipales de la ville (31-33 rue de la Commune-de-Paris), et qu'il resterait un témoin vivant de notre humanité tant que des dons viendraient l'enrichir. »
 

Dans le cadre de la Folle Tentative, résidence permanente à Aubervilliers (93).
en savoir plus sur le Trésor municipal d'Aubervilliers