Manufactures avec l'association ASEA - Aubervilliers (93) © Les Souffleurs commandos poétiques
Avec Marie – la formatrice –, nous sommes les premiers arrivés. Nous disposons quelques chaises autour d’une grande table en attendant les premières stagiaires. Elles arrivent peu à peu ; nous retrouvons des visages familiers et en découvrons de nouveaux.
Fatoumata est accompagnée de son fils, le charmant petit Moussa. Comme en miroir de ce que nous allons vivre tout au long de cette séance de traduction, Moussa, lui, avec sa feuille et son stylo, fera manufacture de lignes, de traits, de courbes, de cercles, d’allers et de retours, de tourbillons, de gribouillages, de griffonnages, toujours avec passion et conviction, avant de lever son crayon de son dessin parce que : « C’est fini. » « C’est beau ? — Oui, c’est très beau, Moussa ».
Il y a quelques nouvelles stagiaires qui n’avaient pu être là aux précédentes manufactures. Nous prenons le temps d'échanger avec elles, de nous présenter les uns aux autres, de leur raconter ce qui nous amène ici – qui sont les Souffleurs, ce qu’est ce Trésor poétique municipal d’Aubervilliers. Nous leur montrons le blog et les photos des précédentes manufactures.
Les stagiaires nous accompagnent dans les explications, le Trésor et les Souffleurs sont alors décrits en mandarin, arabe et soninké. Les quelques mots en français et surtout les gestes – où l’on reconnaît en mime le rossignol, le Livre du Trésor – nous permettent de vaguement suivre ce qui se dit.
Nous proposons de commencer le travail de traduction mot à mot, avec dans notre besace, issus du Trésor, un texte en mandarin, un en arabe et deux enregistrements en soninké.
Nous nous répartissons en trois groupes. Tectonique des tables, nous créons du grand plateau initial trois continents de langues : le mandarin avec Honjmei, Minfen, Lijuan, Yuxin et Marie, l’arabe avec Ahlam, Amany et Marie Luc, et le soninké avec Feinda, Fatoumata, Djenaba, Assitan et Thomas.
Le périple peut commencer, c’est parfois vertigineux, alors nous avançons à tâtons, de mot en mot, sans se précipiter, en se méfiant des évidences parfois trompeuses.
On digresse, on se raconte, on rigole, on se moque avec tendresse, toujours pour s’entendre, comprendre, construire des liens et des ponts, entre nous et nous, nous et le texte.
On arrive doucement à la phrase, puis doucement au texte, l’énigme semble se résoudre.
Et enfin nous arrivons au moment où, comme Moussa, nous levons le crayon de la feuille, « C’est fini ? — C’est fini. »
Il faut s’arrêter à une traduction, mais nous aurions pu continuer à cheminer. Chacun sur son continent respectif, nous avons senti que chacune de ces traductions pourrait être autre. Elles sont évidemment subjectives, « au plus proche » du texte originel, mais aussi nourries des sensibilités, des convictions, des singularités des personnes réunies autour de la table, elles sont le fruit de l’alchimie de ces rencontres, à ce moment donné.
C’est bon aussi de voir comment par ce biais la parole en français se libère.
Nous sortons enrichis et étourdis par ce plongeon « en altérité », dans le différent et le semblable, le si loin et le tellement proche.
Comme après un lointain et long voyage, nous revenons fatigués et heureux.
Nous sommes donc à Aubervilliers, rue Henri Barbusse, le lundi 15 mai 2017 et il est 11 heures.
Vite ! C’est l’heure d’aller chercher les enfants à l’école. Les Stagiaires doivent partir.
Marie, Marie-Luc et Thomas, on continue à atterrir très doucement ; en rangeant les tables, on se raconte les souvenirs de nos voyages respectifs.
Nous sortons de la salle et nous nous regardons avec le même regard que celui de Moussa, qui après avoir levé le crayon de sa feuille regarde son dessin : « C’est beau ? — Oui, c’est très beau. »
Marie-Luc M. et Thomas L., Souffleurs, lundi 15 mai 2017